« La vie, à la longue, nous oblige à nous servir nous-mêmes de tous les “clichés” que nous avions observés, raillés et rejetés dans nos jugements premiers. Nous ne voulions pas répéter, ni dire certains mots et certaines formules. Même — je t’aime n[ou]s paraissait usé – invraisemblable. — —
— J’inventerai toutes mes formules, selon mes besoins réels. » Mais (1926-1927. T 26, XI, 876.). »
(p.424)
« Creuser le “sens” d’un mot en croyant qu’on y trouvera autre chose que des valeurs linguistiques — ou conventionnelles — déguisées —
croire que l’on y trouvera des valeurs indépendantes des creations et formations du langage, — c’est-à-dire de l’épithète —
cette pratique et cette croyance ont dominé la philo-sole langage a ces graves défauts sidie
1° conventionnel — 2° de l’être insidieusement, occultement, — de cacher les conventions dans la Ire enfance — 3° d’être à la fois étranger par provenance et accroissement, — et intime, intimement uni à nos plus intimes états, au point que nous pouvons pas nous concevoir sans langage — sans communication par signes discontinus (et donc combinables) — avec n[ou]s-mêmes.
C’est cette possibilité et commodité de combinaisons qui est l’importante et qui justifie le langage — comme elle en fait aussi l’inconvénient. »
(p. 429)
« Le philosophe croit au mot en soi — et ses problèmes sont des problèmes de mots en soi, de mots qui s’obscurcissent par l’arrêt et l’isolement — et qu’il éclaircit de son mieux en leur créant de son mieux, et artificiellement, par voie réfléchie et imaginative, ce que précisément son arrét et ses doutes leur avai[en]t enlevé — leurs caractères de transition — car le langage n’est que transition — voie de communication. (Ibid., XIII, 502.) »
« Au point de vue purement logique, c’est-à-dire verbal, on peut spéculer — par exemple — tant qu’on veut sur le non-être — son opposition à l’être etc., mais qui ne voit que cela ne correspond à aucune pensée – et que ce qui est pensé dans ces spéculations est un être aussi, baptisé Non-être et qu’on oppose mécaniquement à l’Être. (1899. Sans titre, I, 622.) »
« Toute métaphysique résulte d’un mauvais usage des mots. […] (1901-1902. Sans titre, II, 353.) »
« Pour rendre inutile toute spéculation sur l’a priori et l’a posteriori, sur l’origine des connaissances etc. — il suffit de remarquer qu’une image est toujours une image — une sensation — une sensation et une opération — ou un symbole — idem.
La généralité n’apparaît qu’avec les symboles. La nécessité n’est possible que par les symboles — comme résultant des conventions maintenues . C’est la fidélité à une convention. (Ibid., II, 359.) »
« En philosophie ce qu’on peut appeler l’invention par nécessité est dangereuse plus qu’en physique. Si on ne se restreint pas à se servir, pour expliquer, de phénomènes observés et d’opérations claires, on tombe dans les concepts, catégories etc. — alors on sort du pouvoir et du pratique. On met des mots à chaque trou. Au contraire il importe de réduire systématiquement le nombre des faits différents et voilà tout. (Ibid., II, 474.) » (p. 483)
« La stérilité de la philosophie est due — au langage – à l’écart des observations — au manque de contrôle et d’épreuves — à l’indiscernement des éléments et des opérations et des effets réels de ces opérations. (Ibid., II, 588.) »
« Nietzsche n’est pas une nourriture — c’est un excitant. (Ibid., II, 702.) »
« Je me répète que la philosophie est une affaire de forme. (Ibid., II, 708.) »
« Tout ce que l’on peut demander au philosophe ce n’est pas un système de solutions — c’est un système de notations – un instrument destiné à écrire tout le possible de façon uniforme – sous forme de fonctions simples. Je mets la philosophie dans l’invention _ Toute analyse doit s’accompagner d’une invention qui la rende utile. Ici il s’agit de pouvoir. (Ibid., II, 734.) »
(p. 487)
« Ce point est de la plus grande conséquence. — On voit cette erreur très grosse chez les philosophes qui ont longtemps confondu leurs systèmes de notations et conventions d’écriture — avec le monde ! Toute la métaphysique est un abus de ce genre. On y dirait qu’un système a le pouvoir de bouleverser les choses ! — Mais si on regarde ces moyens comme tels — et ces écrits non comme mondes mais comme — allusions, alors, tout va bien ! (1909-1910. A, IV, 362.)
O philosophe — ô philosophes ! ce qu’il faut élucider ce ne sont pas les mots — ce n’est pas « dieu, cause, matière, monde, volonté — » — ce sont les phrases. (Ibid., IV, 376.)
Métaphysique est confusion… C’est confondre 1mage is relations, noms et êtres, oublier que tel être n’est isolable que par le discours, que le mot n’est pas sufvraie à faire un individu — — — que la logique n’est vraie que des notations. Cette confusion est essentielle pour la Pensée, dont elle est une sorte de définition. (Ibid, IV, 389) »
(p. 501)
« Le hasard n’est que la pluralité des rôles que toute chose peut jouer, à l’égard de nous.
Nous ne concevons que par séries linéaires dont les éléments sont des objets ou des événements.
C’est à de telles séries que la notion de cause s’applique exclusivement.
Mais chacun de leurs termes entre dans une infinité d’autres séries. Nous traçons une ligne mais dont les points gardent leurs rapports, sensibles ou non, avec une multiple infinité d’autres points.
Ce mot de hasard n’a pas de sens “objectif”. (1911. Sans titre, VII, 281.) »
(p. 504)
« Les philosophes et autres qui étudient leur vieux problème de liberté, libre arbitre etc. — — regardent toujours pour exemples, des moments, — des drames brefs, des tragédies dont tous les acteurs sont réunis. D’ailleurs, ce problème est un problème de théâtre, il est peut-être né sur le théâtre, il est réclamé par le théâtre et le théâtre ne serait pas sans lui. Il appartient à cette optique. J’ajoute en deuxième parenthèse, que la Justice et les jugements tiennent aussi au théâtre — au naturel dramatique de l’homme, à cette curieuse nécessité de voir les choses tenir tout entières sur une scène, de croire que le rétablissement de l’ordre doit se faire ainsi, avec des discours, des preuves, une clarté, une solennité, une satisfaction finale, et enfin que quelque chose soit finie et bien finie, bien rémunérée, réglée, entérinée —)
Je reviens aux philosophes ci-dessus — — Ils ne considèrent jamais que les agissements les plus importants sont fomentés à longue date. Quelque chose s’accumule insensiblement qui sera irrésistible un jour et que le moindre événement apparent décrochera. L’homme baigne sans le savoir dans son avenir quant aux actes et aux possibilités d’actes. Le moment venu, et quel que soit l’événement, il n’a plus qu’une manière d’agir, celle qui se préparait — et si elle est contrariée il est éperdu. (Ibid, IV, 885.) »
(p. 509)
« mobile ait parcouru la moitié avant de parcourir le tout ? —
Et l’Achille, (autre illusion) — qui s’énonce : toutes les fois que le rapide arrive à un point, le lent a passé à un autre, en vertu de la continuité du mouvement.
Dans cet exemple, on fait involontairement le m[ouvemen]t de l’un fonction de celui de l’autre. On pense ou on essaye de penser, d’un coup, ce qui ne peut et ne doit être pensé qu’en deux opérations.
Le penseur ne peut voir et traduire qu’une liaison entre les deux mobiles, liaison qui n’existe pas dans la réalité de l’hypothèse. Il s’ensuit que si l’hypothèse était énoncée franchement, elle dirait que 2 corps animés de vitesses différentes mais avec des liaisons ne se rencontrent pas, ce qui est très possible. Ici la pensée introduit une sorte de loi physique.
Mais si les corps sont indépendants ils se rejoignent, comme nous le voyons. D’ailleurs, on peut éliminer Pillusion en se plaçant sur le corps lent et en donnant au rapide la différence des vitesses.
Illusion aussi de parler de la division de l’espace ou du temps. On ne divise pas l’espace. L’espace n’est rien, ni visible ni définissable. Quand on en parle, c’est une allusion à la distribution des sensations et aux transformations, conservations de telle propriété des corps.
De même — la discussion sur la réalité et l’illusion. — (1913. K 13, IV, 894-895.) »
(p. 511)
« Les divagations chez les philosophes viennent souvent d’une puissance de développement qui s’applique à des “principes” — (c’est-à-dire à des clartés personnelles) suffisamment justes, évidents dans un court rayon ; mais étendus au moyen du langage ordinaire, les impuretés s’accusent et le bon sens initial se mue en absurdité, grâce à la logique. (Ibid., IV, 906.)
Il y a dans les agitations et vicissitudes de l’esprit des points où il repasse toujours, — des culs-de-sac — il y repasse sans que les chemins soient les mêmes.
Parmi ces points, certains sont les fameux grands problèmes ou pseudo-problèmes, lesquels sont bien plutôt des réponses que des questions. “Quelle est la destinée de l’homme” — “à quoi bon”, etc. — ce sont des expressions imparfaites d’états.
Il n’y a de vrais problèmes que ceux dont nous savons d’avance la classe de la réponse. Et donc tout avancement de la pensée est de former des classes qui permettront de poser des problèmes véritables.
À quoi sert un rat ? (Ibid., IV, 908)
Que de disputes prématurées — c’est toute la philosophie. Question de la certitude, de la réalité etc.
C’est qu’on ne prend pas le soin de détruire assez souvent ces mots. On arrive à ce curieux état d’étrange difficulté, où on se trouve impuissant non tant devant un phénomène à expliquer que devant un mot qui semble plus contenir que tout ce que l’on pense quand on le pense.
On oublie le rôle uniquement transitif des mots, seulement provisoire. On suppose que le mot a un sens, et que ce sens représente un être — (c’est-à-dire que le sens du mot est indépendant de tout et de mon fonctionnement instantané, en particulier).
Cette supposition, n’est valable que pour les objets. (Ibid., IV, 926.)
Polarité —
Ce que j’appelle « moi », et ce que j’appelle “monde” — ces deux déterminations symétriques, opposées — qui ne peuvent jamais coïncider, qui ne peuvent jamais se séparer l’une de l’autre, — qui sont indivisibles et irréductibles — et qui échangent perpétuellement d’étranges électrons et ions — qui sont par ce dégagement. (1913. L 13, V, 13.)
La métaphysique, cette invincible et sotte prétention qui veut à toute force prendre pour une valeur ou loi ou chose générale — un phénomène très particulier et personnel.
Quand, — précisément au contraire — toute proposition générale — “universelle” comme disent les philosophes — est chose provisoire, moyen, instrument, usage des signes purs, logistique. (1913. M 13, V, 38.) »
(p. 513-4)
« Dans la théorie de la liberté de ce moderne philosophe à la mode il y a ceci de ridicule que cette liberté — pour lui une sorte de prolongement de l’être, de croissance que cet être ne peut prévoir (tout ce qui est déterminé étant passé et prévoir étant voir, donc voir ce qui est déja —) — cette liberté est donc une nécessité que subit l’être déjà commencé et s’oppose à la réflexion, au libre arbitre. Elle consiste à ne pas dépendre en tant qu’on sera — pas même de soi pensant — L’homme est mis hors du monde. (Ibid., V, 20.)
La tâche philosophique à accomplir serait de renvoyer à l’histoire les mots de la philosophie accomplie.
Le temps n’est qu’un mot, suffisant et clair pour l’usage, dangereusement vide pour la spéculation — chargé de sens contradictoires. Aussi l’Espace et le reste.
Il faudrait reprendre l’observation primitive et se faire des concepts plus purs.
Ainsi, pour le temps, ce qu’on constate n’est jamais temps. Cela peut toujours se désigner autrement : on constate des déplacements, des altérations, des liaisons, des indépendances, des ordres —, des répétitions. A la vérité il semble simple d’exprimer ces phénomènes au moyen du mot temps. Mais cette simplicité est trompeuse — Elle se paye. (1913. O 13, V, 124.)
Préface —
Un philosophe est celui qui en sait moins que les autres — (et en quelque sorte moins que l’homme qu’il est,) — pour se l’être persuadé pendant quelques années, et avoir constitué pour des problèmes dont l’énonce est toujours absurde, des solutions qui n’ont nulle conséquence.
Que je doute de mon existence ou non, que je trouve cette table réelle ou imaginaire, que je mette en question La possibilité de son mouvement, que je me reconnaisse libre ou déterminé, animal ou esprit, phénomène éphémère ou seigneur de l’éternel instant, que j’attribue mes pensées à l’univers jouant de ma flûte, à un démon qui m’habite, à un remous de vie,… rien n’en est changé.
Ni ce qui est, quoi qu’il soit — ni mon pouvoir d’agir, Le doute philosophique est une sorte de pantomime ou comédie qui se joue de telle heure à telle autre. Ce doute gymnastique fait songer qu’il existe une certitude — et on essaye de la trouver a partir de ce doute même, ce qui est absurde. Le doute ne conduit pas à la certitude — ce sont des attitudes alternantes ; et qui s’usent par elles-mêmes, comme on se fatigue alternativement d’être assis ou de marcher. (Ibid., V, 137.)
Le cogito cartésien ne doit pas être analysé en lui-même. Ce n’est pas un raisonnement qui se suffise – et pris en soi, il ne signifie rien.
C’est un magnifique cri, un mot de drame, un mouvement littéraire —, un acte décisif ou coup d’état psycho-logique.
Il marque la soudure de l’homme au philosophe — et le passage d’une adolescence imitative à la virilité directement pensante. (1913. P 13, V, 144.)
(p. 517-8)